Prix spécial du Jury dans la section Un certain Regard au Festival de Cannes 2019, un film étrange et beau sur le rapport à la réalité, à la fois poétique et politique. Dans son village Pedra Branca au Nord, le jeune Ihjac refuse de devenir chaman et pense trouver refuge loin des siens, dans la grande ville. S'ouvre à lui une autre réalité : celle d'être un indigène qui n'a pas sa place dans le Brésil d'aujourd'hui.

La profondeur de ce film réside aussi bien dans la beauté des images que dans la vision du monde cruelle et désespérée que nous offre les deux réalisateurs Joao Salaviza et Renée Nader Messora.

RÉCIT D'UNE INCOMPRÉHENSION

Sans complaisance, avec une grande finesse d'observation, nous suivons le parcours d'Ihjac, jeune indigène de la tribu des Krahô, installée au Nord du Brésil au cœur de la forêt. Ihjac n'est absolument pas ravi de ses dons dans le domaine du chamanisme et rejette sa capacité à communiquer avec les esprits, révélée suite à un rêve où son défunt père est venu le hanter pour lui demander une cérémonie funéraire. Depuis,malgré son respect des traditions, il dépérit et est en proie à une vive anxiété. Il ne comprend pas ce qui lui arrive et le vit comme une malédiction.

Incompris des siens qui l'incitent a accepter la fatalité de son don, il pense trouver refuge dans la grande ville où très vite il comprend qu'il n'a pas sa place : le personnel soignant, retranché derrière une froideur administrative et au mépris total de toute considération psychologique, lui intime fermement l'ordre de retourner parmi les siens, le traitant d'hypocondriaque alors qu'il souffre peut-être de dépression.

Tenace, le jeune homme essaie de se faire aider mais se heurte à de l'incompréhension, à une société, faussement bienveillante qui ne souhaite qu'une chose : qu'il retourne dans la forêt avec les siens, qu'il reste à sa place, qu'il se soumette à l'ordre des choses.

Ihjac fait alors l'expérience de la solitude intérieure extrême alors qu'il est en apparence très entouré. Le chant de la forêt souligne l'universalité de la difficulté de communiquer son monde émotionnel intérieur à autrui, que cet autre soit du même monde que soi ou non.

Affiche du film Le chant de la forêt
Affiche du film Le chant de la forêt

L'ARBRE QUI CACHE LA FORET

La virtuosité du film est de ne pas trancher entre onirisme et réalisme. Ainsi quand Ihjac rêve d'un fantôme portant une torche dans les rues, nous voyons juste après un plan de lui, dormant sur un banc, au milieu des lumières de la ville dont les couleurs évoquent les flammes. Quid de l'influence du réel sur les rêves et vice versa ? Les réalisateurs nous laissent libres d’interpréter le film comme un drame psychologique et/ou un récit fantastique.

Le destin du jeune homme peut s’interpréter comme une invasion du surnaturel : il est hanté par les morts et refuse sa mission de passeur d'âmes; Ou alors nous pouvons analyser son deuil impossible selon un angle psychologique : le décès de son père l'a profondément perturbé et il ne s'en remet pas malgré ses tentatives.

LA RÉSISTANCE POUR LE LIBRE ARBITRE

Dans les deux cas, Ihjac n'a pas le choix de sa destinée, son entourage le somme  d'accepter sa destinée de chaman, la société blanche brésilienne lui refuse l'intégration. A chaque fois on lui refuse l'introspection, l'exercice de son libre arbitre et la maîtrise de son existence, au nom d'un déterminisme vide de sens. 


Un être humain peut-il supporter d'être privé de libre arbitre ? A être coincé entre deux mondes qui ne lui conviennent pas, n'est-ce pas comme s'il ne s'appartenait plus, la fin du film s'imposant alors comme une évidence ? 

Pour le jeune indigène, plane sans cesse une menace sourde, réelle ou imaginaire. Le jeune Ihjac se sent en danger permanent, à la fois dans le monde traditionnel et moderne. Il est menacé tout comme son territoire, la savane du Cerrado, forêt magnifiquement filmée. A noter que les acteurs sont les habitants du pays Krahô.

​​​​​​​Un film qui nous plonge au cœur d'un rêve ou d'un cauchemar  éveillé et, plus positivement, au cœur d'une résistance. 

Le chant de la forêt, 1h54, de Joao Salaviza et Renée Nader Messora, en salles.

 

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