A contre-courant des critiques positives entourant le film ALICE ET LE MAIRE, cette critique est négative. Certes Anaïs Demoustier est parfaite (comme d'habitude) mais c'est bien le seul élément positif de ce film passéiste, décourageant et vain. Ennuyeux aussi. Lors de la présentation à Cannes, nous n'avions pas été emballés du tout. En deuxième visionnage, cette impression est confirmée et nous allons expliquer pourquoi.

Le pitch : le maire de Lyon n'a plus d'idées pour gérer sa ville et fait appel à une jeune femme, Alice, Normalienne, pour lui fournir de nouvelles pistes de réflexion et d'action. Il envisage également de se présenter aux élections présidentielles. De son côté, Alice fait la découverte du pouvoir et l'apprentissage du nonsense politique.

Affiche du film ALICE ET LE MAIRE, copyright BAC FILMS

L’ÉLOGE DE L'IMPUISSANCE ET DES CLICHES A LA PELLE

Alice et le maire est une énorme déception car les films sur la politique sont assez rares et sont normalement l'occasion de réfléchir. Ce n'est pas le cas ici. Le film réuni tous les clichés du moment (mention spéciale pour le personnage de la jeune femme borderline et agressive qui prédit la fin du monde et des catastrophes écologiques...cela nous a rappelé quelqu'un. C'est une private joke ? Un hommage discret ? Spoiler : dans le film, elle finit à l'hôpital psychiatrique parce quelle est... "trop lucide"...No comment...) 

Cet amas de clichés n'est pas le seul élément ennuyeux dans ce film plat et défaitiste. Le film fait l'apologie de l'impuissance, de la défaite,  le renoncement est élevé au rang du salut de l'être. Autant de questions philosophiques qui ne font pas bon ménage, dans ce film en tout cas, avec les idéaux politiques, car le message retenu reste celui d'un "à quoi bon ? " déprimant. L'attentisme, l'inertie, le renoncement...Autant d'attitudes évoquées dans le film comme des solutions...pas très réjouissant...

Un autre cliché parmi tous ceux qui peuplent le film (que nous n'allons pas tous citer) : les personnages gravitant autour du maire sont inévitablement représentés comme une cour autour d'un roi , représentation habituelle, Alice elle-même, bien qu'appréciée par le maire est à sa disposition à n'importe quelle heure, s'agit-il d'une façon téléphonée d'évoquer la servitude volontaire ? (Rousseau est souvent cité dans le film et on aurait pu le citer comme le deuxième élément intéressant du film mais le pauvre, serait étonné par notre actuel "contrat social" et nous le laissons en paix). 

Parlons aussi du cliché de la représentation des femmes. Le personnage d'Isabelle, fonctionnaire importante, de son look à sa diction, en passant par son attitude a déjà été vu et revu maintes fois sur grand écran. Certes, le politiquement correct impose de donner aux femmes des rôles importants mais n'est-ce pas cliché que de créer un personnage qui mixe un certain nombre de femmes politiques très médiatisées comme Rama Yade, Rachida Dati ou Marlène Schiappa. En plus elle est toujours dans l'ombre du maire, subordonnée malgré l'illusion de pouvoir. Au final, le personnage d'Isabelle est d'un tel convenu qu'il n'était pas nécessaire qu'il soit féminin....

Image du film Alice et le maire, copyright BAC FILMS
Image du film Alice et le maire, copyright BAC FILMS

UN FILM CONTEMPORAIN ET DATE A LA FOIS

Tout au long du récit la réflexion sur le politique est mal amenée, la démonstration reste manichéenne, le parti pris du film est flou. On se demande quel est le message : l'échec est inévitable, la réalisation de soi et le bonheur se situent en dehors de la sphère politique ? L'individuel plutôt que le collectif ? Le privé plutôt que le public ? On se perdrait donc à se dévouer à la cause du bien commun et l'harmonie ne se trouverait que dans l'égoïsme, dans la possibilité de lire des livres pour le plaisir et non pour le travail ? Si ce n'est pas ça c'est qu'on aura mal compris. Mais il est tellement brouillon, ce film désenchanté bien de son époque qui vieillira mal.

Un film qui évoque une autre époque en fait : la chronologie nous rappelle que les événements se sont déroulés 3 ans auparavant. C'est donc un récit en mode flashback politique. En fait, à défaut d'être un film politique, ALICE ET LE MAIRE est juste un film passéiste qui est contemporain parce qu'il compile les idées du moment. Si l'idée était de produire une photo de notre époque il aurait fallu travailler davantage la question de ce  qu'est le contemporain. Par nature, le contemporain est déjà obsolète quand on le questionne. Et donc, si l'objectif du film était de décrire la politique contemporaine, c'est raté, car dans ce domaine comme dans tout ce qui est contemporain, tout évolue , change et se transforme à vitesse grand V. Tout est mouvement et avancée, contrairement à ce que sous-entend la stagnation de Paul Théranaux et d'Alice qui est aussi impuissante que lui. Il n'y aurait donc pas de remède au manque d'idée ? Tout un combat de 30 ans pour finir par renoncer ? 

Il aurait décidément fallu un autre traitement pour cette aventure d'Alice au pays des politiques, quand on  a Luchini, Demoustier et Reinartz sous la main (ou plutôt devant la caméra) on peut prévoir autre chose qu'un voyage sans saveur ni panache, pessimiste à souhait.

DE LA FONCTION D'UNE OEUVRE

Nous nous demandons : à quoi sert ce film ?

Généralement une oeuvre a plusieurs fonctions, au choix : dénoncer, sensibiliser, révéler aux public un monde inconnu, démontrer ou bien l'oeuvre revêt une fonction cathartique, d'entertainement ou alors elle poursuit des buts esthétiques.

Une oeuvre peut transmettre beaucoup : rendre les gens heureux, leur donner de l'espoir, de la confiance en la vie, les faire réfléchir...Les oeuvres ont été utilisées pour faire de la propagande, pour éduquer, pour représenter un pays, un métier... On ne met pas au monde une oeuvre sans qu'elle impacte le monde,  et surtout, elle impacte toujours la compréhension et la vision de ce dernier.  

Image du film Alice et le maire, copyright BAC FILMS
Image du film Alice et le maire, copyright BAC FILMS

En ces temps où tout s'accélère, où la société devient de plus en plus compliquée, où des défis de plus en plus difficiles et complexes sont à relever, le public d'un film intitulé ALICE ET LE MAIRE ne peut pas être une audience neutre : ce sont aussi des électeurs. Quel message leur envoie-t-on ? 

L'image du maire n'est pas anodine : c'est l'élu qui est au plus près de ses administrés. Une figure notable, importante, un peu comme le médecin, le maître d'école autrefois, qui entretient des relations de proximité, qui dispose encore, pour un politique, d'un capital sympathie. Et cette figure, jusqu'à présent épargnée serait comme tous les autres : un incapable qui cache son incapacité ? On a connu moins démagogique...

La fracture entre le peuple et ses représentants se jouaient jusqu'à récemment sur un échelon plus haut : le peuple se plaint plus souvent des ministres que des maires. On constate aussi que les médias traitent les hommes politiques comme s'ils étaient des people donc très éloignés du commun des mortels. Mais en faisant cela, en promouvant ce culte de la personne, ils désacralisent leurs fonctions. Jamais, surtout après le mouvement des Gilets Jaunes, la méfiance de la population envers ses élus n'a été aussi grande. Dans ce contexte, en 2019, quel est alors l'intérêt de réaliser un portrait d'un maire perdu et en échec ?  

La société est en perte de repères, la quête du sens est crucial dans une ère de mondialisation et de réseaux sociaux. Beaucoup ne savent plus comment et quoi penser, se sentent impuissants, comme Paul Théraneau, le maire du film. Alors oui, le film se fait le reflet des désillusions et interrogations contemporaines, mais il ne nous apprend rien de nouveau que nous ne savions déjà. Pire, il  nous a semblé qu'il contribuait à décrédibiliser encore davantage la fonction politique. Nous serions donc représentés et dirigés par des hommes aussi faibles que Paul Théranau ?

A quoi sert donc ce film ? A nous désespérer encore davantage ? A annoncer que le temps du politique tel que nous l'avons connu jusqu'alors, est passé ? Il y a quoi à la place? Le film ne le dit pas. 
L'échec est-il la seule issue possible pour qui croit encore à l'action politique ?
La modestie, fréquemment évoquée dans le film, signifie-t-elle que nous devons rester à notre place, ne pas avoir de rêves et d'ambitions ?
A la fin d'Alice au Pays des merveilles, la jeune Alice se réveillait dans le cadre rassurant de sa réalité, après avoir failli mourir décapitée par la reine de cœur. Dans cette aventure d'Alice au pays de la mairie de Lyon, le message semble être : tout ça pour ça ?

Cette expression traduit en tout cas, parfaitement notre avis sur le film.

Alice et le maire, de Nicolas Pariser, France, 103 minutes, avec Anaïs Demoustier, Fabrice Luchini, Nora Hamzawi, Antoine Reinartz, Léonie Simaga.

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