Ne passez surtout pas à côté du film de Sarah Suco, Les éblouis. Ce film est d'une justesse poignante et sera d'un soutien certain  à tout ceux qui ont dû survivre au sein d'une famille dysfonctionnelle. Pour la première fois au cinéma, est abordé le thème de la dérive sectaire et les conséquences familiales de celle-ci, notamment concernant les enfants qui n'ont pas leur mot à dire et qui sont souvent obligés de suivre leurs parents dans leur naufrage.

Affiche du film Les éblouis de Sarah Suco
Affiche du film Les éblouis de Sarah Suco

 

L'histoire :  en recherche spirituelle, la famille de Camille rejoint une communauté catholique et glisse lentement mais sûrement sous l'emprise du dirigeant de celle-ci, surnommé le Berger. Au fur et à mesure de l'implication de ses parents dans la communauté, Camille voit sa famille se désagréger et ses parents devenir maltraitants de façon subtile, notamment en négligeant ses besoins et ceux de ses frères et soeurs, en devenant incapables de les protéger psychologiquement et physiquement des autres membres de la secte.

Image du film Les éblouis Copyright Pyramide Films


Les rapports s'inversent et c'est désormais à Camille de veiller sur sa fratrie ainsi que sur ses parents, notamment sur sa mère, en grande souffrance. Tandis que le Berger, le gourou de la secte, se substitue de plus en plus aux décisions parentales, l'empêchant de vivre sa vie d'adolescente et coupant les relations avec ses grands-parents, Camille se révolte et tente de protéger les siens.

UNE ADOLESCENTE EN LUTTE CONTRE UNE DERIVE SECTAIRE

Image du film Les Eblouis de Sarah Suco, copyright Pyramide Films

Camille aurait pu sombrer mais elle va lutter et tenter de sauver sa famille de l'influence de la secte. Inspiré de l'histoire vraie de l'actrice Sarah Suco, qui, après s'être enfuie de la secte où vivait sa famille, a réussi à transcender cette douloureuse histoire familiale pour en faire un film résilient et didactique, qui aidera tous ceux qui sont concernés, de près ou de loin, et qui informera les autres, leur permettant sans nul doute de renforcer leur vigilance.

LES PROCESSUS D'EMBRIGADEMENT ET DE DERIVE SECTAIRES HABILLEMENT EXPOSES

Le film présente de façon progressive et démonstrative, le processus d'embrigadement dans une secte. Il met à jour les mécanismes pervers et subtils qui conduisent des gens sains d'esprits, tout simplement humains, à abdiquer de leur propre identité, de leur propre vie sociale et familiale. Un film émouvant mais sans pathos, qui détruit les lieux communs sur les sectes : non, les gens ne vivent pas en vase clos, non, ils ne sont pas embrigadés de force. Souvent, l'adhésion est volontaire car dans notre société stressante et anxiogène, des valeurs comme la solidarité et la vie en communauté attirent de nombreuses personnes en recherche de plus de chaleur humaine.

Les dirigeants de secte l'ont bien compris qui exploitent ces besoins pour manipuler et exploiter leurs membres, les coupant de leur proches, car il est plus facile de manipuler une personne isolée.

LA RESILIENCE EST UN SPORT DE COMBAT

Le parcours du personnage principal, Camille, progressivement isolée au sein de sa propre famille, est puissant car porteur malgré tout d'un message d'espoir. Il est la preuve qu'on peut se sortir de toute tentative de désincarnation mentale et physique, que la résilience est toujours possible, que l'espoir et la lumière sont au bout du chemin mais le film ne fait pas l'impasse sur cette question : à quel prix ?

Camille Cottin dans Les Eblouis de Sarah Suco , copyright Pyramide Films

 

En se libérant, Camille, risque de perdre ses parents, de faire exploser sa famille, d'être exclue pour toujours de cette dernière (dans la vraie vie, Sarah Suco ne voit toujours pas ses parents et a admis en interview que cela était un sujet douloureux pour elle). Ce que subit Camille, tout au long du film, ne peut que donner naissance à un traumatisme teinté de culpabilité.

Il faut beaucoup de courage pour oser briser ses chaînes et s'enfuir, surtout quand on est jeune, en pleine évolution et construction. La force du film réside aussi dans le fait que ce ne sont pas seulement les processus d'embrigadement et de libération qui sont exposés, mais aussi comment on réalise être sous emprise, comment on se bat et comment on gère cela. Avant, pendant, après.

Camille est forte mais on pressent qu'elle aura besoin de temps pour se reconstruire, passées la sidération, la colère, la révolte, l'action. Le personnage de Camille est guidé par une pulsion de vie débordante. C'est ce qui la sauve.

UN FILM QUI FAIT REFLECHIR ET EGALEMENT UN BEAU PORTRAIT D'ADOLESCENTE

L'adolescence est un cataclysme. C'est peut-être aussi ce qui donne sa force à Camille :  sa volonté de vivre, son amour et son désir pour le cirque, pour Boris son camarade circassien, pour ses frères et soeurs surtout, sur lesquels elle veille à la place de ses parents, totalement accaparés par la secte.

En fait, Camille devient adulte tout au long du film et s'émancipe. Etre adulte, c'est faire ses propres choix, avoir sa propre réflexion. Une attitude, on s'en doute, incompatible avec les desseins d'une secte dont le principe de base est de tuer dans l'oeuf toute velleité de réflexion personnelle. 

Camille est une combattante, une militante de la liberté, qui ne fait jamais preuve d'égoisme. Camille est vraiment amour. Son destin cruel nous touche d'autant plus. Environ 50 000  à 60 000 enfants seraient victimes des conséquences des dérives sectaires, chaque année, en France. 

Il s'agit donc d'un sujet d'actualité, jamais traité au cinéma, sur lequel on dispose de peu d'informations. C'est l'une des raisons principales pour lesquelles ce film est à voir, indépendamment de la qualité dramaturgique de l'histoire.

UNE INTENSITE DRAMATIQUE PROGRESSIVE ET INTELLIGENTE

La force de caractère de Camille force le respect. Sa solitude émeut. Seule la vraie vie peut donner une matière aussi âpre, fournir l'inspiration à un scénario aussi puissant dont l'intensité dramatique monte crescendo, comme si les scénaristes nous préparaient psychologiquement.

Cette façon de faire est néanmoins très intelligente car l'histoire prend le temps de s'installer, de dérouler le fil de son argumentation. Le résultat est à la fois émouvant et didactique. Jamais cependant la réalisation ne glisse dans le pathétique.

Cette progression dramatique suit également le processus d'embrigadement progressif de la famille. Cela confère une grande force à l'écriture du scénario que l'actrice a cosigné, à quatre mains, avec Nicolas Sihol, le réalisateur du thriller Corporate.

Le film n'est pas à charge, absolument pas anti-religion. Il fonctionne comme une exposition des faits, au service d'une démonstration qui laisse le spectateur se faire sa propre opinion, tirer ses propres conclusions et c'est en ne forçant pas notre jugement qu'il acquiert notre adhésion totale. De façon intelligente, le film fait appel à notre libre arbitre, ce dont ne disposent plus les personnes embrigadées. Le film nous offre la liberté volée aux membres de la secte.

DES ACTEURS TALENTUEUX

Jean-Pierre Darroussin dans Les Eblouis de Sarah Suco, copyright Pyramide Films

Jean-Pierre Darroussin en prêtre gourou est juste parfait. Tour à tour bonhomme, bienveillant et menaçant, complétement fou, il est crédible dans ce rôle antipathique.

Face à lui, Camille Cottin, en mère de famille perdue, en grande souffrance, réussit à insufler de l'humanité au personnage de Christine, mère maltraitante pour laquelle on n'éprouve cependant, au final, que très peu de compassion.

Le père, interprété avec justesse par Eric Caravaca est d'une lâcheté désolante. Heureusement qu'une autre figure masculine, rassurante, celle de Boris, interprété avec conviction par Spencer Bogaert, émerge dans l'existence de Camille.

Céleste Brunnquell dans Les Eblouis de Sarah Suco, Copyright Pyramide Films

Il convient de saluer la performance excellente de l'actrice Céleste Brunnquell. Quasiment de tous les plans, la jeune fille irradie la pellicule. L'actrice interprète avec talent des scènes difficiles, très dures psychologiquement sans se départir d'une grande justesse et d'une stabilité rares. Elle incarne vraiment son personnage, elle joue vrai. En lice pour la Révélation des Césars 2020, la jeune actrice tourne actuellement, sous la direction du réalisateur Pierre Salvadori,  une série à destination d'ARTE. Nul doute qu'une belle carrière s'annonce. Sans jeu de mots, elle est éblouissante dans Les Eblouis

UN FILM PRIME A DE NOMBREUSES REPRISES

Les Eblouis a d'ors et déjà reçu de nombreux prix, dont :

- le Prix « Cinéma 2019 » de la Fondation Barrière

- le Prix « Célestine 2019 » du festival du film français
d'Helvétie

- le Prix du meilleur film lors de la 17e édition du
festival italien Alice nella città 
de Rome. 

- La Salamandre d'Or et prix d'interprétation féminine
pour Céleste Brunnquell au 28e festival du film de Sarlat.

LES EBLOUIS est un film à voir, en cette période où de nombreux films sortent en salles, c'est une valeur sûre, un bijou d'émotion empreint d'utilité sociale, allez-y, vous ne le regretterez pas !

Les Eblouis, de Sarah Suco, 99 minutes, avec Céleste Brunnquell, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca, Camille Cottin.

 

 

 

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