Affiche du film A bigger splash de Jack Hazan

Affiche du film A bigger splash de Jack Hazan

Tout le monde connait le célèbre tableau de David Hockney, A bigger splash, peinture incroyable qui fleure bon la Californie, le soleil, l’amour libre et les joies de l’été, véritable reflet de l’esprit d’une époque, œuvre qui a traversé les continents et le temps. Aujourd’hui encore, ce tableau continue de nous fasciner notamment grâce aux sensations de liberté et de sensualité qui s’en dégage.
Le public connait sans doute moins le film de Jack Hazan, sorti en 1973, primé du prestigieux Léopard d’argent au Festival de cinéma de Locarno.

 

Affiche du film A bigger splash

LE SUJET DU FILM

Le sujet du film est bien sûr le peintre David Hockney et plus précisément les conditions de création du tableau Portrait of an artist (Pool with two figures), bien que le titre du film face référence à un autre tableau d'Hockney A bigger splash. Est-ce l'annonce d'un portrait en trompe-l'oeil ? Cela est en tout cas le prétexte à une plongée dans le contexte artistique et émotionnel qui ont prévalues à la conception de ce chef-d’œuvre.

La sortie en salles, en version restaurée, et distribué par Les Films du Camélia, ce mercredi 6 octobre 2021, est l’occasion  d’en apprendre un peu plus sur la conception d’une oeuvre d’art mondialement connue et sur un artiste de renom.

POURQUOI IL FAUT ALLER LE VOIR EN SALLES

Le film de Jack Hazan mérite d’être (re)découvert, ne serait-ce que pour sa forme (mi-documentaire, mi-fiction). Il permet aussi d'aborder, au travers du portrait du peintre, son entourage “au naturel”:  des personnalités du monde de l’art et de la mode aussi importantes qu'Ossie Clark (dont la paisible vie de famille representée dans le film ne permettait pas d’imaginer qu’il aurait un destin aussi tragique, puisqu’il est mort poignardé par un ancient amant).

L'ARTISTE ET SA MUSE 

En prime, dans ce "docu-fiction" (à l'époque on disait aussi cinéma-vérité) : l’inspiration artistique du peintre, son état d’esprit, son rapport à la creation ! Le seul reproche qu’on pourrait faire à l'entreprise : la dimension artistique mériterait d'être davantage mise en avant. Elle est parfois escamotée au profit de l’intrigue sentimentale.

Image du film A bigger splash, copyright Les films du Camelia

Le tableau A bigger splash fut l'un des plus grands succès d'Hockney. Ici, malgré la référence à sa célèbre oeuvre, il est donc question de Portrait of an artist (Pool with two figures). Cette peinture de style pop art, qui a récemment battu les records de vente aux enchères pour un artiste vivnt (90,3 millions de dollards chez Christie's) a en effet pour modèle Peter Schesinger, qui fut l’amant, le modèle puis l’ex de David Hockney, alors que le tableau n’était pas achevé.

Le réalisateur se concentre beaucoup sur cette histoire d’amour, sur la déception du peintre au détriment de sa technique picturale et du mystère qui se cache derrière toute création artistique. Il s'approche beaucoup de ces sujets mais privilégie beaucoup la relation entre la muse et son créateur.

DU SEXE NON SIMULE, LE TABLEAU DE LA CHAIR VS L'IDEAL

Nous en apprenons beaucoup sur les émotions et... l’anatomie des deux protagonistes ! On peut même se demander : quel est l’intérêt du plan où David Hockney sort de sa douche, nu ?
Pire : que penser de ce passage du film lorsque Schesinger a accepté d’être filmé lors de relations intimes avec un autre homme, peu de temps après sa rupture avec le peintre ? C'est un peu humiliant pour Hockney car il n'est pas un personnage de fiction mais un être humain qui lutte pour surmonter un chagrin d'amour. 

Ces scènes de sexe non simulées fournissent cependant une dimension sulfureuse au film, bien qu'en marge du parcours artistique d'Hockney et du tableau A bigger splash qu'on ne voit jamais d'ailleurs, car malgré le titre, l'oeuvre dont il est question dans le film est Portrait of an artist (Pool with two figures). En tout cas, impossible de nier le rôle qu'a joué la relation amoureuse des deux hommes :  ce tableau a été composé lorsqu'ils étaient amoureux et achevé alors qu'ils étaient séparés. 

EGO VS OEUVRE D'ART

Cette connection entre l'art et la vie est particulièrement touchante lorsqu'Hockney doit prendre sur lui pour demander à son ex de revenir poser, car il n’arrive pas à finir le tableau sans lui.
Il sacrifie son égo pour son oeuvre d'art.
On assiste alors à une confrontation émouvante entre les deux hommes : l’un est visiblement passé à autre chose (Peter) tandis que l’autre (Hockney) est encore en plein deuil amoureux. Ces passages nous font entrer immédiatement en empathie avec le peintre.

Bien qu'il soit empreint d'une démarche différente d'un programme de télévision, ce film a, il faut bien l’admettre, des petits a-côtés de téléréalité (de qualité) avant l'heure.

Image du film A bigger splash, copyright Les films du Camelia

 

LE DEVENIR DU FILM

David Hockney renia le film à sa sortie. Il s’estimait déçu. Cette attitude se retrouve souvent chez les artistes auxquels des réalisateurs consacrent des documentaires car comment demander à un artiste de s’abandonner totalement à un autre artiste, sans qu'il ne ressente l'envie de glisser son propre grain de sel ? Dans le cas d'A bigger splash, plus de séparation entre l’homme et l’artiste aurait cependant été souhaitable.  

Ce qui reste troublant et intéressant, c’est que tous les intervenants dans le film "jouent" alors que normalement, dans un documentaire, ils "témoignent" : les amis d'Hockney se comportent devant la caméra comme s’ils étaient des acteurs alors qu’ils sont filmés dans leur vie quotidienne. Hockney lui-même “interprète” son propre rôle. Un making-off serait a consacrer au tournage de cet ovni cinématographique.

Image du film A bigger splash, copyright Les films du Camelia

Ce procédé de scénarisation, assez rare en réalisation cinéma de nos jours, se retrouve, moins poussé, dans des films magnifiques comme Punishment Park par exemple. Il n’enlève rien à la qualité du film, qui constitue un témoignage inédit d’un moment de création dans la vie d’un artiste majeur de l’art contemporain.

UNE RESTAURATION DE QUALITE

A noter que la restauration des images est parfaite, visuellement on est emporté dans cette atmosphère de création et de tous les possibles, on ressent la frénésie des années 70, on ne peut s’empêcher de vouloir en savoir plus, tout en ayant conscience d’être parfois un "spectateur voyeur".

Tourné aux débuts des seventies, en pleine libération sexuelle, ce film est un témoignage aussi bien d’une époque que d’une période de création. Il est délicieusement transgressif dans sa façon de nous donner à voir des images, une intimité et dans la posture dans laquelle il nous place.

En ces temps de conformisme et de puritanisme, A bigger splash constitue donc une bouffée d’air frais venue du siècle dernier, qu’on peut humer à plein poumons, juste avant d’aller se faire une toile (ou plusieurs) d’Hockney au musée.

A Bigger Splash version restaurée est en salles depuis mercredi 6 octobre 2021

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