Le documentaire d'Anissa Bonnefont est sorti en salles le 27 novembre 2019 et nous vous recommandons de le voir, même si vous ne connaissez ni Olivier Rousteing, ni Balmain (donc même si vous êtes un martien ou un habitant d'une caverne au fin fond de l'Amazonie).

Dans ce film, qu'on ne peut qualifier de biopic à cause de l'âge de l’intéressé, mais plutôt de documentaire sur une recherche des origines, la mode est bien évidemment présente, mais ce n'est pas le sujet du film. Il aurait été impossible de faire abstraction du milieu de la mode puisque Olivier Rousteing évolue, avec succès, dans cet univers professionnel.

Le film sort bientôt en DVD et VOD donc nous avons mis à jour l'article.

Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films
Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films

UN DOCUMENTAIRE DE TYPE VOYAGE DU HÉROS

Le sujet principal du film est la quête des origines, principalement la quête de la mère. C'est en soit un véritable voyage du héros. Pour ceux qui ne sont pas étudiants en scénario, le Voyage du Héros comprend 12 étapes : Le monde ordinaire, l'appel de l'aventure, le refus de l'aventure, la rencontre avec le déclencheur, le passage du seuil, tests, alliés, obstacles, approche de la caverne, mort et renaissance, récompense, chemin du retour, renaissance, retour avec l'objet de la quête. Le héros quitte donc son monde ordinaire pour aller à la rencontre du nouveau monde, voyage initiatique dont il sortira transformé. Dans le cas d'Olivier Rousteing, ce voyage initiatique est un véritable voyage biologique intime. Il remonte le cours du temps, interroge le passé et questionne par conséquent le présent.

Voyage intime qu'il entreprend avec la plus grande des sincérités, sans fards ou plutôt sans filtres, nous rappelant au passage que la vie c'est tout sauf Instagram, et que les grands esprits sont justement ceux qui savent prendre de la distance. N'y voyez aucune complaisance, il faut saluer ceux qui savent prendre de la distance avec les réseaux sociaux et qui utilisent les choses pour ce qu'elles sont : des moyens, des outils mais non des buts en soi. Son but actuel c'est de savoir d'où il vient. Le créateur n'a donc pas hésité à casser son image de control freak en dévoilant sa solitude et ses blessures intimes.

Olivier Rousteing va nous emmener avec lui, de façon généreuse et sans calcul,  dans la quête de ses origines, dans son voyage du héros. Il va être le plus transparent possible. Nous découvrirons sa profonde humanité, un portrait se dessine rapidement dès le début du documentaire, portrait qui ne peut laisser personne indifférent.

Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films
Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films

UN ÉTRANGE DOCUMENTAIRE

Le résultat est cependant un étrange documentaire où se côtoient Juliette Binoche, Jenifer Lopez, des mannequins, des petites mains, des artistes et des fonctionnaires de l' ASE. Tout le monde à sa place sauf les fonctionnaires  qui, à notre avis, n'aurait pas dû sortir de l'ombre, ils ne font pas partie du monde de la lumière dans lequel évolue les actrices, les tops models, les artistes. Olivier Rousteing fait, temporairement, le temps de sa quête la navette, entre ces deux mondes. Ce n'est pas à lui de promouvoir l'opacité, la réserve, surtout si l'on songe à sa démarche intime. Malgré leur gentillesse, d'un point de vue professionnel, les fonctionnaires auraient dû rester en retrait, mais cela n'est que notre avis et cela ne remet nullement en cause l'intérêt et le message du film.

Le fait de les voir à l'écran parler des données d'une personne réelle qui n'a pas donné son accord pour la divulgation publique de ces éléments, produit un étrange documentaire à la fois touchant, porteur d'un message légitime mais qui génère en même temps un certain malaise et qui induit une profonde réflexion à la fois sur le secret médical et sur la médiatisation. Explications une fois que nous vous aurons exposé le synopsis.

PORTRAIT D'UN HOMME PRESSÉ...JUSTE CE QU'IL FAUT

Le film suit Olivier Rousteing, né soux X, mais élevé et adopté par un couple aimant. Parvenu à une réussite professionnelle certaine, le directeur artistique de la maison de haute couture Balmain, se sent désormais prêt à mener des recherches pour retrouver ses parents biologiques. Il ignore tout de ses origines, pense même avoir un père blanc. Après une première tentative abandonnée à l'âge de 16 ans, Olivier Rousteing, âgé alors de 32 ans, va mener jusqu'au bout sa quête. Filmé par son amie Anissa Bonnefont, en qui il a toute confiance, il explique avoir besoin de savoir d'où il vient pour savoir où il va. Son besoin d'en savoir plus sur ses origines est légitime et nous émeut.

Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films
Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films

On ressent une sincérité, un besoin viscéral de découvrir son histoire qui n'a rien à voir avec la présence des caméras.

Olivier Rousteing ne se donne pas en spectacle, il utilise le dispositif médiatique pour se motiver à ne pas abandonner sa quête. N'oublions pas que ce documentaire a été tourné alors que le créateur avait en parallèle une activité professionnelle intense. Cet homme a des responsabilités. Le film montre comment il sait faire la part des choses avec maturité, prenant sur lui. Fait rare : être professionnel ne l'empêche pas d'être humain. Cet homme possède une forte intelligence émotionnelle. Il ne se défile pas et pour lui être filmé n'est absolument pas une exhibition. Au contraire, on le sent dans une optique de témoignage partagé, sa démarche se construit aussi pour aider les autres,  dans un but didactique et salvateur. Il est étonnant de fraîcheur et de sincérité tout au long du film.

UNE SINCÉRITÉ ABSOLUE

A aucun moment, nous le rappelons, on ne ressent donc que cet homme se donne en spectacle. Sa démarche est sincère, personnelle, l'ensemble du projet du documentaire lui fourni à la fois un cadre et la force pour continuer ses recherches, malgré la lenteur administrative. 
La polémique ne se situe donc pas dans sa démarche. Elle se situe dans le dévoilement, dans la transmission publique d'informations qui peuvent, éventuellement, permettre d'identifier, sans son consentement, l'identité de sa mère biologique, dans la participation de membres d'un service public à un projet cinématographique. Bien sur, ce n'est pas la première fois que ce cas de figure se produit. Mais on parle ici de l'accouchement sous X et du secret qui l'entoure.

En effet, lors d'une scène d'une émotion rare, nous assistons à la lecture du dossier établi au sujet d'Olivier Rousteing lors de sa naissance sous X, dossier retrouvé par l'ASE. Ce dossier va être communiqué à l'intéressé et pour en prendre connaissance, Olivier Rousteing est accompagné par une personne très à l'écoute, pleine de psychologie, mais dont nous rappelons que c'est quand même son métier, pardon : sa mission. C'est donc la moindre des choses que cette personne fasse correctement son travail. Il n'y a rien d'exceptionnel là-dedans. Ce qui est exceptionnel c'est de voir, au cinéma, filmé un dossier censé être confidentiel.

UNE SCÈNE CLÉ D'UNE ÉMOTION RARE

Lorsque Olivier Rousteing découvre une très petite partie de son histoire (l'âge de sa mère, sa nationalité, ce qu'elle a écrit pour justifier l'accouchement sous X...) il vit un moment éprouvant.

Le jeune homme est secoué de sanglots et il est impossible de rester de marbre face à cette émotion sincère, viscérale, non contrôlée. Un petit garçon pleure par empathie pour sa mère. Un homme, qui a désormais plus du double de l'âge de celle qui l'a mis au monde, découvre qu'il est le fils d'une adolescente.

Pas de figure maternelle forte, au contraire, une enfant qu'il semble spontanément et sincèrement avoir envie de protéger. Comme tous les enfants du monde, il a cette impulsion d'être du côté de la mère, il pleure d'émotion en découvrant, très surpris, des bribes de l'histoire tragique de cette adolescente.

Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films
Wonder Boy d'Anissa Bonnefont, copyright Alba Films

La scène est d'une grande force. Nous avons été touchés, et la salle entière a été secouée, par l'expression sincère et spontanée de son émotion.

Très vite, cependant , les réponses qu'il a obtenues ont suscité chez lui de nouvelles questions. Il ne sait pas s'il est le fruit d'un rapport consenti ou non, il ignore l'histoire familiale de ses parents biologiques. Toutes sortes de suppositions se bousculent dans sa tête. De plus, l'aventure n'est pas terminée car la prochaine étape est l'éventuelle rencontre avec celle qui l'a mis au monde ou éventuellement une rencontre et explication avec son père biologique dont nous savons également la nationalité et l'âge.

Et c'est à partir de ce moment si fort, si touchant, si plein de sincérité, d'émotion, que le film nous a paru polémique. Il nous semble que le droit au secret n'a pas été respecté concernant l'identité de cette femme, toujours en vie.

ET LE DROIT AU SECRET, ALORS ?

Qu'Olivier Rousteing recherche sa mère, qu'il milite pour plus de transparence : c'est son droit le plus absolu. Mais nous savons désormais, nous, des milliers de spectateurs, qui n'avons aucun lien avec cette histoire, qu'une femme de telle nationalité, née en telle année, qui habite le Sud-ouest de la France, qui a peut-être suivi une scolarité dans un LEP en informatique, est sa mère.

Ces renseignements semblent dérisoires : ils fournissent pourtant au public des informations qui peuvent permettre des recoupements.

Imaginez que vous êtes la voisine, la collègue de travail de cette femme ou que vous viviez dans son entourage proche et que vous allez au cinéma ou que vous entendez parler du film. Il vous sera possible, éventuellement, de l'identifier.

Nous savons qu'elle est née en 1970, qu'elle vient de Djibouti : il est impossible pour un être humain de cloisonner sans cesse sa vie. Cette femme, si elle a parlé d'elle ou si d'autres gens connaissent ses origines, son parcours de vie sans nécessairement connaitre sa grossesse, peuvent l' identifier.

Certes, elle a caché sa grossesse à ses frères et sœurs. Mais ceux-ci sont susceptibles de l’apprendre en allant au cinéma, en se rappelant des attitudes anciennes de leur sœur, en recoupant des faits. Pourquoi, dans les hôpitaux, lors des transports de dossiers d'un service à un autre, est-il recommandé de transporter avec la plus grande discrétion les dossiers médicaux, de cacher le nom des patients à la vue des autres usagers de l'hôpital? Au nom du secret médical , au cas où quelqu'un de l'entourage serait dans les parages.

Le secret du dossier médical, que ce soit parce que vous avez le sida ou une opération des végétations, est garanti pour tous, grâce aux procédures de l'hôpital. Pourquoi le service de l'ASE a-t-il accepté la présence d'une caméra lors du dévoilement du dossier ?

Même si les règles en vigueur ne permettent pas à Olivier Rousteing de connaitre son vrai jour et mois de naissance, on divulgue devant la caméra des informations qui certes, permettrons à l'intéressée de se reconnaître et de se manifester si elle en a envie, mais qui peuvent, potentiellement, la faire identifier par des tiers auxquels elle n'aura pas raconté son histoire.

LA PAROLE LIBÈRE SI C'EST UN CHOIX

Alors certes la parole libère. On ne connait pas l'histoire complète de cette femme : la conception de l'enfant est-elle la conséquence d'un rapport voulu ou subi ? Qui lui a conseillé d'accoucher sous X ? Comment s'est déroulée la mise en pratique de ce choix ? Était-elle épaulée par sa mère ? L'a-t-elle fait sous contrainte psychologique ? Dans quel état d'esprit ? 

Malgré ces questions essentielles laissées dans l'ombre, on apprend des choses à la fois tellement administratives et intimes, sur elle, qui s'est engagée, volontairement ou non, dans une procédure dont le secret est la clé de voûte. Pour se protéger ou pour protéger l'enfant, elle a choisi le secret. Et cette connaissance que nous avons désormais d'elle, ce partage public du dossier, cette médiation inhérente à un documentaire de cinéma, bafoue en quelque sorte son droit au secret. Elle était très jeune et peut-être n'a-t-elle pas pu faire autrement. Mais nous n'en savons rien.

Son droit à disposer d'elle-même, elle qui n'a peut-être pas eu cette chance si son enfant est le fruit d'un rapport forcé, respectons-le. Son droit d'accoucher sous X et de laisser à son enfant des informations à sa destination exclusive, respectons-le. Personne, hormis Olivier Rousteing et ses proches, ne devrait avoir eu accès à ces informations. On aurait pu raconter l'histoire d'Olivier Rousteing sans raconter l'histoire, même parcellaire et pleine de zones d'ombres, de sa mère. C'est notre point de vue, peut-être avons nous tort. Mais la scène, éprouvante, où il apprend la vérité, nous confirme dans cette idée. 

Olivier Rousteing espère que ce film donnera envie à sa mère de se manifester. Mais est-ce que ce film peut aussi la "forcer" à le faire ? Est-ce que des "enquêteurs" peuvent retrouver sa trace, à son insu ? Avec le nombre d'informations divulguées face caméra, n'importe quel détective privé ayant ses entrées dans l'administration, peut retrouver cette femme. Le secret est éventé. Et que se passera-t-il si elle ne se manifeste pas ou si elle refuse ? La vie est belle et cruelle, rien ne se contrôle. Mais il aurait été possible de contrôler la diffusion d'informations concernant cette femme.

LA QUESTION CENTRALE DU SECRET ABSOLU

Le film interroge la légitimité du secret, il aborde la question de la remise en cause de ce secret absolu. La loi dans de nombreux pays n'est pas en faveur de ce dernier et en France, actuellement, il y a de grandes discussions autour de l'accouchement sous X.

Le documentaire sur Olivier Rousteing parle donc d'un sujet d'actualité. La recherche des origines ne concerne pas que les enfants nés sous X, puisque certains enfants issus de dons de sperme souhaitent également connaitre l'identité de leur père biologique.

Filmer les informations relatives à la mère est une maladresse. Le documentaire se veut témoignage, didactique, libérateur, en faveur de la libéralisation de la parole des femmes  et aidera toutes celles qui se taisent alors qu'elles voudraient s'exprimer ou simplement retrouver leurs enfants. Mais qui nous prouve que c'est le cas ici ? Nous n'en savons rien. Et qui nous dit que cette femme ira voir le film ? Quelle sera sa décision alors ? Cette décision sera-t-elle gardée secrète par elle et son fils biologique ?  Qu'est-ce qui garanti qu'elle ne sera pas reconnue par des tiers, qui se baseront sur les informations dévoilées, à son insu ? Des fans du créateur peuvent très bien se mettre à enquêter...

Et surtout, pour Olivier Rousteing, ce n'est que le début, certainement pas la fin du voyage du héros. De toute façon, la découverte de soi est un voyage très long. Mais doit-on impliquer sa vie et ses désirs dans celle et ceux des autres ? Il aurait été préférable que cette quête se soit déroulée, du moins en partie, loin des caméras.

Ce n'est donc pas Olivier Rousteing ni la réalisatrice que nous blâmons. Un fils qui recherche sa mère est dans une démarche légitime. Une réalisatrice qui réalise un documentaire est preneuse de toutes informations pertinentes.

Ce qui nous a mis mal à l'aise c'est que les services publics ne fassent pas preuve de plus de retenue en refusant qu'un dossier soit filmé (même l'écriture peut éveiller des intuitions dans l'entourage de cette femme).

La loi changera peut-être. En attendant les services publics doivent tout mettre en oeuvre pour garantir le secret dont ils sont dépositaires. Or là, il y a eu, selon nous,  défection.

Nous souhaitons de tout cœur que ce film ne porte pas préjudice à cette femme, qu'elle puisse prendre sa décision en son âme et conscience, sans se soucier des autres, que personne ne la force à faire quoi que ce soit et puis...Zut...tout ceci ne nous regarde pas. Laissons cet homme et sa mère se retrouver. Peut-être. Quand deux personnes s'aiment ou voudraient s'aimer, trop de gens sont concernés...

UN FILM A VOIR ABSOLUMENT

Un très beau film à voir cependant, hormis notre réserve sur la scène où on apprend quelques informations sur cette femme, un beau portrait d'homme, une quête sincère, un sujet d'actualité. Ce documentaire n'a pas été réalisé pour rien, il est tout sauf futile, il fait réfléchir.

Affiche du film Wonder Boy d'Anissa Bonnefont
Affiche du film Wonder Boy d'Anissa Bonnefont

Anecdote : dans la salle se trouvaient de nombreuses personnes qui avaient choisi ce film par hasard. Beaucoup essuyaient leurs larmes et on entendait : "c'est un très beau film, je n'aurai jamais pensé à venir le voir intentionnellement, je ne connais pas ce monsieur mais c'est un très beau film". C'est vrai, c'est un très beau film.

Nous vous le recommandons donc chaleureusement. Mais nous vous demandons de garder dans un petit coin de votre tête que non, tout ne peut pas être filmé et partagé publiquement à l'ère des réseaux sociaux où l'information circule si vite et en si grande quantité... 

Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X d'Anissa Bonnefont, 1h39, sortie prochaine en DVD et VOD.

Article mis à jour en mai 2020.

 

 

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