Réussite totale que Noureev (Le Corbeau Blanc / White Crow en anglais), biopic sur le célèbre danseur qui ne s'attarde pourtant que sur une partie de son existence, de son enfance en URSS à sa décision de passer à l'Ouest en restant en France. Reconstitution historique et délicate du Paris des années 60, flash-back explicatifs qui éclairent la personnalité et les choix du danseur, acteurs merveilleusement bien dirigés : Ralph Fiennes nous offre 2 heures et 7 minutes de bonheur.

LE RÉSUMÉ

Jeune prodige du célèbre ballet du Kirov, Rudolf Noureev est à Paris en juin 1961 pour se produire sur la scène de l'Opéra. Fasciné par les folles nuits parisiennes et par la vie artistique et culturelle de la capitale, il se lie d'amitié avec Clara Saint, jeune femme introduite dans les milieux huppés. Mais les hommes du KGB chargés de le surveiller ne voient pas d'un bon œil ses fréquentations "occidentales" et le rappellent à l'ordre. 
Confronté à un terrible dilemme, Noureev devra faire un choix irrévocable, qui va bouleverser sa vie à jamais. Mais qui va le faire entrer dans l’Histoire. 

En 2019, Rudolf Noureev est toujours d'actualité, ses chorégraphies sont régulièrement reprises par l'Opéra de Paris dont il fut le directeur de ballet de 1983 à 1989. Son parcours est un modèle de courage, de volonté, de liberté.

UN FORT PARTI PRIS SCÉNARISTIQUE 

Le film assume un parti-pris : ne pas s'attarder sur l'homosexualité du danseur, évoquer cette dernière sans en faire un pivot central du film. Ce qui motive le jeune Rudolf Noureev c'est de danser et d'être libre. Allergique à l'autorité, ouvert sur le monde (il a appris l'anglais pour pouvoir communiquer lors de ses déplacements à l'Ouest), curieux et incapable de faire des compromis, nous découvrons sa personnalité très forte, son travail acharné, sa discipline et aussi son caractère entier sans que jamais le scénario ne sombre dans le pathos, l'admiration béate ou le rébarbatif.

Rudolf Noureev était surnommé le Corbeau Blanc, surnom qu'on donnait en URSS aux personnes différentes des autres, avec des capacités au dessus de la moyenne. Il avait conscience de sa valeur et de son talent mais ce n'était pas pour écraser les autres, il recherchait juste la beauté, la perfection en toute chose. Il s'agit bien évidemment d'une quête exigeante, à l'image de son caractère.

Affiche du film Noureev de Ralph Fiennes
Affiche du film Noureev de Ralph Fiennes

UN PORTRAIT ARTISTIQUE ET MORAL 

Au travers du film, on découvre ses valeurs morales, ses désillusions et son rapport au bien et au mal, notamment dans l'aventure qui lui est imposée par l'épouse de son professeur de danse, interprété par Ralph Fiennes.
Le film est même très audacieux, en montrant à l'écran un homme subir des attouchements sexuels pas franchement désirés de la part d'une femme. A cette époque Noureev se sait déjà homosexuel, il a un ami intime, un danseur allemand avec qui il débriefe régulièrement sur son travail et les points à améliorer. On découvre aussi sa soif de culture, son besoin de s'entourer de gens intelligents, de toujours apprendre. Sa fascination pour la culture et notamment la peinture est remarquablement bien restituée.

Noureev photo 10 © 2019 BRITISH BROADCASTING CORPORATION AND MAGNOLIA MAE FILMS - Larry Horricks
Noureev photo 10 © 2019 BRITISH BROADCASTING CORPORATION AND MAGNOLIA MAE FILMS - Larry Horricks

LA REDÉCOUVERTE DE CLARA SAINT

L'amitié du danseur avec la jeune Clara Saint, magnifiquement incarnée par Adèle Exarchopoulos, est brute de décoffrage, il est même parfois à la limite de la goujaterie tellement il est franc. Pour ceux qui déplorent que dans les films il y a toujours le cliché d'une histoire d'amour, dans Noureev, entre les deux jeunes gens, il s'agit d'une histoire d'amitié et de solidarité.

Tous les deux sont à la croisée des chemins :  le jeune danseur venu de l'URSS et Clara, belle-fille d'André Malraux, qui vient de perdre son fiancé dans un accident de voiture. Le film a le mérite de faire redécouvrir Clara Saint, personnalité libre également, future attachée de presse de la maison de haute couture Yves Saint Laurent puis assistante d'Andy Warhol. En revanche il édulcore complètement la personnalité de Clara, féministe avant l'heure, qui vivait à 23 ans en union libre avec un jeune homme de 18 ans, au début des années 60. Nous restons convaincue que Clara Saint, qui a également permis à Noureev de demander l'asile politique en France, devrait faire l'objet d'un film à elle toute seule.

Ralph Fiennes n'a pas souhaité nous offrir un biopic mielleux mais au contraire nous faire découvrir ce que Rudolf Noureev avait d'exceptionnel en tant qu'artiste. Il choisit d'explorer différentes facettes de sa personnalité et de sa relation à l'art. 

Il n'est donc jamais fait mention de réalités triviales : lors du générique, la date de sa mort est annoncé mais pas les raisons (il s'est éteint du sida après s'être longtemps battu contre cette maladie en 1993, faisant partie de cette génération d'artistes qui succombaient en masse au VIH à cette époque)

UN PROJET DE LONGUE DATE CONCRÉTISÉ

Cela fait 20 ans que l'acteur Ralph Fiennes veut réaliser un biopic sur le danseur, après avoir lu la biographie écrite par son amie Julie Kavanagh. Pour le scénario, il a contacté David Hare qui a été oscarisé pour les films The hours et The Reader.

Le film est aussi l'occasion d'évoquer la période de la guerre froide. Il a été tourné dans les lieux réellement visités par le danseur : à Saint Petersbourg et à Paris. Notons que l'acteur principal, Oleg Ivenko, qui livre une prestation incroyable en terme de jeu et de danse, n'a que 22 ans.

Le résultat est tout simplement exigeant, brillant, à la hauteur du danseur d'exception qu'était Rudolf Noureev.

Noureev (The write Crow) de Ralph Fiennes , avec Oleg Ivenko, Adèle Exarchopoulos , Raphaël Personnaz et Ralph Fiennes, 2h07, en salles, sorti le 19 juin 2019

 

 

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