Un voyage intérieur de toute beauté avec ce film consacré au célèbre peintre Gustav Kimt.

L'histoire : année 1900. Klimt est encensé lors de l'exposition universelle qui se tient à Paris alors que dans son pays et principalement à Vienne il est considéré comme un provocateur sans talent. Libre, vivant au mépris des conventions sociales, il a plusieurs maîtresses parmi ses modèles et est le père de plusieurs enfants. Sa maîtresse régulière, Emilie, est à son côté tandis qu'envers et contre tout il bâtit son oeuvre beaucoup trop en avance sur son temps pour être réellement comprise. Il insère dans tous ses tableaux sa quête de la perfection mais aussi exprime ses relations passionnées avec les femmes. Des années plus tard, alors qu'il est malade et hospitalisé, le peintre reçoit la visite du peintre Egon Schiele.

Il voit défiler sa vie sous ses yeux et se rappelle son plus grand coup d'éclat : il avait racheté ses allégories les plus scandaleuses pour les détourner. Mais il se souvient aussi de sa rencontre avec la mystérieuse Léa que lui a présenté Méliès et qui va devenir son obsession.

Affiche du film Klimt, copyright Gemini Films

BEAUTÉ PLASTIQUE, TOUT SAUF UN BIOPIC

Sorti en 2006 , Klimt du réalisateur Raoul Ruiz est un film étonnant, extrêmement créatif qui est tout sauf un biopic. Certes le sujet du film est le peintre viennois Klimt et le film parle du peintre. Mais le film s’affranchit de la structure "hollywoodienne" et classique. Ici pas de démarrage de l'enfance à la mort, pas de flashback censés éclairer les choix et le parcours artistique de Klimt. Raoul Ruiz préfère nous emmener dans un voyage dans la tête de Klimt, mourant sur son lit d'hôpital, visité par Egon Schiele (qui quelques mois après mourra aussi de la grippe espagnole). Les flash-back ne sont que prétexte à traduire la sensibilité, les interrogations, les obsessions, la vision du peintre.

D'une extrême beauté plastique, hypnotique, le film est l'expression d'une recherche visuelle, en lutte contre le cinéma formaté. Le spectateur ne s'ennuie pourtant jamais, c'est une sorte de jeu, de lâcher prise permanent : il faut accepter le parti-pris du réalisateur qui reprend kaléidoscopes, anamorphoses, images hallucinatoires. Le résultat est un bijou d'intelligence, donne envie de revoir la peinture de Klimt et on ne peut que s'incliner devant la liberté créatrice qui émane de ce film dont le financement fut épique mais conséquent, de nombreux partenaires financiers acceptant de suivre Raoul Ruiz dans son exploration du mental de Klimt. Le film est une production France - Autriche- Allemagne - Angleterre.

UNE NARRATION A LA SCHNITZLER

En terme de scénario le film doit beaucoup à l'atmosphère et à la structure narrative des œuvres de Schnitzler, médecin et écrivain viennois du 19e siècle, qui a notamment écrit La nouvelle rêvée qui a inspirée notamment le réalisateur Stanley Kubrick pour son film Eyes wide shut. Mêmes zones d'ombres brièvement éclairées avant d'être remises en question, dans Klimt l'histoire nous rappelle que la peinture est toute puissante. La peinture c'est ce qui existe en dehors de Klimt et c'est avec elle que le peintre dialogue, se confie. C'est à elle qu'il confie son obsession pour la mystérieuse Léa, femme double qui hantera bientôt son esprit.
Au sujet de ce personnage notons que cette jeune femme est présentée à Klimt par Méliès qui conviera le peintre à plusieurs projections privées : mise en abyme, film dans le film et hommage au cinéma ces passages sont parmi les plus oniriques du film et on revient à La nouvelle rêvée de Schnitzler.

Afiche allemande du film Klim, copyright Gemini Films

LA QUESTION DU DOUBLE, DE LA NEUROLOGIE ET DE LA MUSIQUE

Le personnage de Léa est double tout comme Klimt. La question du double interroge le rapport à la réalité : on ignore si ce que vit Klimt avec la double Léa est réel ou fantasmé. La question du double est un thème important pour les artistes, exploitée notamment par Dostoïevski qui a publié un roman du même nom en 1846. Dans une autre réalisation (A la recherche du temps perdu) Raoul Ruiz a à nouveau exploité cette notion du double qui l'intéressait particulièrement.

Il a également intégré ce que les neurologues nomment le cerveau volant, capacité cognitive qui permet aux spectateurs d'un film d'en percevoir l'irréalité : c'est notamment la raison pour laquelle nous ne sommes pas vraiment terrorisés en regardant des films d'horreur , notre cerveau sait que tout ceci est irréel. Appliqué à Klimt le procédé nous fait vite comprendre que nous sommes dans une fantasmagorie, que certaines des obsessions de l'artiste sont à mettre sur le compte de ce phénomène et, il est amusant de constater, qu'à notre époque, nous manquons justement de cerveau volant dus peut-être à l'essor de la télé-réalité.

Le rythme de la narration est également musical : Ruiz aimait à dire qu'il avait cherché à copier la structure du morceau La valse de Ravel. Cela explique pourquoi la fin est particulièrement abrupte après une accélération inattendu du récit. La fin est ici brutale et connue et en ce temps de pandémie l'intérêt de ce film qui débute au moment où Klimt se bat contre la maladie nous rappelle l'essentiel : vivre libre sans les oppressions de la vie quotidienne est la voie du bonheur mais cette voie est difficile, l'endormissement matériel que Klimt a toujours rejeté (l'argent pour lui était un moyen, non une fin) lui a permis, envers et contre tout de vivre libre jusqu'à son dernier souffle. Et, ironie du sort, il est de nos jours l'un des artistes dont la cote est parmi les plus hautes.

Audacieux, créatif, original et captivant, ce film est à voir pour s'ouvrir à la beauté mais aussi pour tous ceux qui s’interrogent sur le processus créatif et sur la liberté intérieure. Chef d'oeuvre.

Et si vous voulez en savoir plus sur le film voici le dossier de presse sur UniFrance.

Klimt, de Raoul Ruiz, 2H09, avec John Malkovitch, Véronica Ferres, Stephen Dillane, Nikolai Kinski, Saffron Burrows.

 

 

 

 

 

 

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